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Les cépages modestes s’affichent dans Libération !

 

Un très bel article d’Olivier Bertrand sur les Rencontres des cépages modestes, à  lire aujourd’hui dans Libération!

 

Compte rendu des premières Rencontres

 
Les Premières Rencontres des Cépages Modestes se sont déroulées ce week-end (les 29 et 30 octobre) à Saint Côme d’Olt (Aveyron), dans le confortable Couvent de Malet. Les participants n’avaient rien de monastique, mais montrèrent beaucoup de ferveur pour la belle palette d’expériences, de compétences et de dégustations qui avait été réunie par les organisateurs. C’est que la valorisation de ces cépages locaux, méconnus, à sauvegarder ou perdus focalise quelques enjeux de plutôt haute importance, dont la satisfaction des consommateurs, n’est pas l’un des moindres. Avec parfois un peu d‘urgence. « Quand il n’y aura que des clones, on ne pourra plus faire marche arrière », a prévenu Robert Plageoles.

Recherches d’ADN
Sur le plan de la recherche et du savoir, l’étude des cépages, de tous les cépages (sur laquelle plane l’ombre immense de Pierre Galet), réserve aujourd’hui, notamment grâce aux analyses ADN, de belles surprises. Ainsi, soulignait Michel Grisard, président du Centre d’Ampélographie Alpine Pierre Galet de Montmélian, un cépage abandonné, la mondeuse blanche, s’est-il révélé être la « mère », excusez du peu, du viognier et de la syrah…
Spectacle de variétés

Réhabiliter des cépages oubliés est donc d’abord une lutte contre l’appauvrissement d’un élément central de notre patrimoine viticole, et pour la préservation locale de la biodiversité. A cet égard, les éclairages apportés par Michel Laurens (AOC Marcillac) et Olivier Yobregat (IFV) sur le patrimoine ampélographique de l’Aveyron étaient stupéfiants. Pour ne parler que des cépages originaux, autochtones, qui connaît le Saint-Côme, le Fel, le Bernadou, le Noual (cépages blancs), le Mouyssaguès, le Négret de Banhars, le Négret de la Canourgue, le Brunq noir, le Malpé, le Baral, le Moural, le Tarabassié, le Valdiguié Pissaïre (productif comme son nom l’indique), le Négret du Tarn (qui n’est pas de ce département comme son nom ne l’indique pas) ? On ne les trouvera pas en tout cas dans le guide des cépages mondialisés d’Oz Clarke… Malheureusement, certaines appellations, a rappelé le vigneron Pascal Jamet, se sont progressivement refermées sur un seul cépage, comme les côtes-du-rhône septentrionales « limitées » aujourd’hui à la syrah. Pour Marie-José Richaud, oenologue, formatrice et sœur du fameux vigneron de Cairanne, les règlements d’AOC ont des conséquences curieuses. Ainsi, certaines appellations requièrent le même degré minimum quel que soit le cépage, ce qui aboutit par exemple à l’élimination du bourboulenc en Côtes du Rhône…

Nous (les cépages modestes), c’est le goût !

Ensuite, on peut avoir raisonnablement pour objectif de maintenir la diversité du goût, face à la pression galopante de vins touchés comme les autres aliments par l’industrialisation, et mondialisés, stéréotypés, sans caractère. Le consommateur ne peut que gagner à découvrir un plus grand éventail de cépages et d’arômes variétaux. Sur ce plan, le débat sur le degré qui réunissait Nicolas Carmarans, vigneron à Campouriez (près d’Entraygues), Marie-José Richaud, Antony Tortul, du domaine de la Sorga dans l’Héraut – qui commercialise 28 cuvées avec une quarantaine de cépages – a mis en évidence le rôle des cépages moins alcoologènes pour remédier à l’uniformisation du goût due au degré élevé en alcool des vins.

Territoires à Valeur Ajoutée

Valoriser économiquement les territoires ruraux, tout en renouant avec les traditions et les cultures locales, est aussi un enjeu fort des initiatives de recréation de vignoble comme l’a souligné Anne Deplaude (Réseau Vignobles et Cépages rares et Association pour la Restauration et le Développement du Vignoble des Coteaux du Gier), ou Pascal Jamet à propos de « ce petit Eden ampélographique » que constitue l’Isère. De plus, l’authenticité des vignerons, l’originalité locale et les vins produits constituent autant d’intérêts oenotouristiques, et donc d’opportunités de vente directe.
Mais malheureusement, le chemin est long pour les cépages retrouvés – entre micro-vinifications et rébarbatives procédures administratives – avant d’être admis dans le saint des saints, le catalogue officiel des cépages cultivables. Sans parler d’une admission dans une AOC, mais les vignerons – et les consommateurs, partout dans le monde – sont de plus en plus nombreux à ne pas s’en soucier.

Papa, Maman !

Grâce à ces Premières Rencontres, les cépages modestes ont maintenant une famille !
Les Rencontres, au-delà de leur rendez-vous annuel (prochaine date donc, novembre 2012), ont vocation à être la plaque tournante, et la caisse de résonance des réalisations et des projets dans ce domaine.

 

 
Voici le texte de l’intervention de Robert Plageoles (Vigneron à Gaillac) lors des premières Rencontres des cépages modestes :

« Il y a 25 ans quand dans mes conférences, je prononçais le mot « ampélographie« , les yeux des auditeurs s’écarquillaient, signe d’interrogation sur la compréhension du mot ! L’ampélographie : qu’es aco ? Pierre Galet est né dedans, et je pense à lui lorsque je prononce ce terme on ne peut plus viticole, mais hélas parfaitement ignoré de beaucoup de vignerons, de spécialistes supposés de la vigne et du vin, et surtout des médias !
Ce terme trop difficile pour l’auditeur non averti ne doit pas être utilisé trop souvent, au dire des censeurs de la communication audiovisuelle : c’est trop compliqué ! Alors on se contente de parler du vin – surtout des cépages avec parcimonie, quelquefois du vigneron  et presque jamais de l’ampélographie. Et pourtant… J’ai une pensée pleine de condescendance pour les vedettes des revues et médias, vantant les mérites des vins prestigieux, gloires de notre monde moderne. J’ai une pensée pleine de tristesse pour leur ignorance totale des héros de ces merveilles : les cépages. En effet quel intérêt y a-t-il de savoir que le merlot, cépage Bordelais mondialisé, était considéré avant le 19ème siècle comme un cépage secondaire nommé « crabutet noir »? Aucun assurément. Il occupe actuellement la 7ème place au classement des cépages dans le monde, couvre 75 régions ou pays différents, soit 200.000 ha ! Mais la région Bordelaise a avalé le champion sans états d’âme et seulement magnifié le résultat ! La culture du bénéfice financier compte d’avantage que le savoir culturel ! Et que dire du pinot « vulgarisé » à l’extrême. Il est cultivé dans près de 150 régions ou pays différents à hauteur de 60 000 ha. Que fait-on des 39 différentes variantes du Pinot dans notre monde viticole ? Sont-elles connues des vignerons ? Que reste-il de leurs valeurs ? L’oubli a bien oeuvré, la focalisation sur le vin issu du pinot générique a fait le reste. Il y a quelques années, quand je demandais à certains journalistes parisiens de parler davantage des vins de Gaillac, la réponse était simple : « c’est un vignoble peu connu ». Et quand j’insistais sur les cépages millénaires, la réponse était pire : « personne ne les connait ». C’est le chien qui se mord la queue : on ne parle que de ce que l’on connait ! Ce qui ferme définitivement la porte à ce que l’on ne connait pas !

La culture à l’envers…

Petit à petit les choses changent. Sous la pression de la mondialisation, les réactions de sauvegarde se font plus précises. Quand je suis rentré à Vassal en 1982 grâce à Boursicaut de l’ENSAM de Montpellier, j’ai eu l’impression d’être le premier demandeur de cépages dans le temple de l’ampélographie. Le volume actuel de demandeurs a explosé, les vignerons ne veulent pas mourir écrasés par l’uniformité. Les vignerons, grâce à un juste retour de mémoire, tentent de sauver ce patrimoine fantastique des cépages mis à notre disposition au domaine de Vassal à Marseillan, mais aussi dans tous les conservatoires régionaux qui se sont créés.

La réaction est en marche, nos collègues italiens ne sont pas en reste. Lors d’une conférence à Florence, j’ai pu constater qu’ils étaient beaucoup plus actifs que nous, témoin Mastroberardino, vigneron célèbre qui a planté les 11 cépages antiques de Pompei, in situ, dans les mêmes parcelles d’avant la destruction volcanique de la ville !  L’Espagne n’est pas en reste. L’Ukraine avec ses domaines autour de la mer Noire, perpétue la protection des cépages locaux, comme son voisin la Géorgie avec les 500 cépages toujours utilisés… et ses techniques de vinification comme les vins Kakheti. N’oublions pas le conservatoire ampélographique de Magaratch en Crimée. Avant l’éclatement de l’URSS, il était le plus important conservatoire du monde. Vassal a releve le défi. Profitons-en ! D’autant que le conservatoire ayant aiguisé des appétits immobiliers, il a failli disparaitre. Devant les attaques par voie de presse de quelques vignerons défenseurs d’un exceptionnel patrimoine mondial, l’heureux propriétaire des 25 hectares du conservatoire (un champenois) a reculé et revu ses ambitions destructrices. A nous maintenant, avec l’lNRA de Montpellier, de jouer et de perpétuer cette collection unique mise en place depuis plus de cinquante ans, grâce notamment aux travaux de Pierre Galet ! Galet, l’homme providentiel déjà reconnu mondialement, ne sera jamais assez remercié pour tout ce qu’il a fait et qu’il fait encore pour cette science presque oubliée des modernes : l’ampélographie. Et cet homme exceptionnel, révélateur des efforts et essais des vignerons de notre « vieux monde », depuis plus de 10.000 ans, mérite non seulement le respect du à un savant, mais rend absolument indispensable la lutte que nous devons mener contre l’oubli de milliers de cépages. Restons vigilants contre les tentatives de nos élites technocratiques tentées de normaliser ce que l’homme a créé ! Soyons respectueux de toutes ces créations, de toutes ces merveilles variétales, et protégeons ces acquis dus à l’intelligence et à la patience des hommes. Je l’ai écrit, dit et proclamé de nombreuses fois : « ll n’y a pas de mauvais cépages, il n’y a que de mauvais vignerons ».
Toutes ces identités créées par l’homme enrichissent notre patrimoine viticole et en même temps notre patrimoine culturel. Nous devons, comme les « compagnons du devoir » dans d’autres disciplines, protéger les acquis de nos ancêtres.
Demain sera difficile. La mondialisation se précise. Celle des cépages aussi. Difficile de ne pas penser à la Chine, marché viticole de demain. Quelques chiffres :
- en 2000, Production : 2 millions d’hectolitres
- en 2005, Production : 5 millions d’hectolitres
- pour 2020, Production prévue : 25 millions d’hectolitres.
Dans une production mondiale de 280 millions d’hectolitres, la Chine en 2020 atteindra presque 10 % de cette production ! L’Inde arrive elle aussi, à toute allure, dans cette compétition mondiale ! De quoi donner le vertige a l’Europe ! Dans cette évolution se glissent dangereusement les cépages principaux des régions les plus réputées de France. Cette mondialisation des cépages, dans ces puissances économiques que sont la Chine – et l’Inde bientôt – représente un danger mortel pour notre ampélographie traditionnelle. ll nous reste heureusement de nombreuses variétés solides et de qualité exceptionnelle pour lutter contre cette vulgarisation des gouts et des saveurs. Nos originalités régionales y pourvoiront sans complexes et sans difficultés. La vieille Europe (au sens large du terme) a une multitude de ressources et beaucoup d’imagination. Je ne voudrai pas terminer mon exposé sans dire un mot sur le plus grand drame viticole de la planète : le phylloxera !

En trois phrases :
- il a tué la mémoire mondiale des cépages,
- il a, par le greffage sur plants américains pour le combattre, dénaturé l’identité des cépages originels :
- il faut, le plus vite possible, revenir à l’origine de la vigne avant le phylloxéra.
C’est l’héritage que nous devons laisser aux jeunes générations de vignerons. Dès l’apparition de la maladie, les hommes ont oeuvré pour résister aux attaques du phylloxéra. Dans de nombreuses régions viticoles vers les années 1890-95 des expériences de lutte chimique avaient démontré que l’on pouvait combattre l’insecte. Malheureusement, la formule de greffage a stoppé les recherches.
Tous ceux ou celles qui ont eu le bonheur de goûter des vins issus de vignes pré-phylloxériques ont pu constater l’écart de qualité et d’originalité avec les vins issus des vignes greffées. Rien n’est impossible : les deux combats conjugués de la protection des cépages et le retour aux variétés originelles sans greffage sont essentiels à la survie de la viticulture ancestrale. Ceux qui doutent sont condamnés, à plus ou moins long terme, à subir la loi de la technologie galopante de la vinification et l’uniformisation des vins de la planète, et en complément la disparition des vignerons amoureux de leur métier. »

Robert PLAGEOLES le 10.10.2011

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